mardi, août 23, 2005

Techno Soul

Drexciya est certainement l'un des actes les plus cachés de la Techno militante de Detroit. James Stinson, son co-fondateur (encore que les contours du groupe sont toujours restés très flous, aucun nom n'apparaissant sur les notes de pochettes des disques) est décédé subitement il y a maintenant 3 ans, laissant derrière lui une poignée d'albums incontournables. Camionneur et père d'une nombreuse famille dans le civil, Stinson était pour son pendant musical l'une des pointes les plus vindicatives mais tout aussi discrète du label de Mad Mike Banks, Underground Resistance, projet initié à la fin des années 80 et qui allait replacer la musique noire américaine dans son cadre militant et activiste qui fut le sien au début des années 70. Etrangement, les dernières années de sa vie furent aussi celles d’une plus grande activité discographique. Alors que les années 90 ne virent Drexciya sortir qu’une poignée de maxi (compilés sur l’indispensable The Quest), le début du nouveau millénaire vit l’américain redoubler d’activité et enchaîner les pseudonymes (Transllusion, Shifted Phases, The Other People Place). Parmi ses différentes incarnations, l’album paru sur WARP sous le nom de The Other People Place, Lifestyles At The Laptop Café, pourrait bien figurer comme son plus beau testament. Profondément mélancolique et nappé d’un voile de tristesse résignée, voire parfois d’un certain romantisme suranné, le disque s’insinue doucement mais surement dans le cerveau. De nappes de synthétiseurs atmosphériques, rythmiques électro sèches, basses bien rondes et caressantes et réminiscences electro-pop, toute la techno de Detroit est ici définie dans sa perfection, loin de la surenchère (qui peut le plus peut le moins), point d’effets inutiles, juste l’émotion compte et Lifestyles At The Laptop Café fait partie de ses disques qui ne cesse de revenir et revenir hanter ceux qui ont eu la chance de s’y plonger. Un disque de chevet dans sa plus belle définition. On consultera pour plus d’information un court mais instructif résumé de la carrière de Stinson ici, ou encore la discographie plus complète sur Discogs.

The Other People Place – Lifestyles At The Laptop Café (lp, 2001, USA)

dimanche, août 21, 2005

Kanye West (Pet) Sounds

Après la floppée de remix du Black Album de Jay-Z, l'excellente Blogothéque se fait aujourd'hui l'écho d'une nouvelle tentative de faire cohabiter deux univers différents. Ce coup-ci, ce sont les Beach Boys et Kanye West qui ont l'honneur d'être pris pour cibles. Si le principe, amusant bien que tout aussi vain, n'a donné que peu de résultats passionnants (même le plus connu Grey Album ne tient que peu la route face aux plus récentes productions de son auteur Danger Mouse comme celles qu'il a commis sur l'excellent Demon Days de Damon 'Gorillaz' Albarn), Lush Life West Sounds (disponible gratuitement en téléchargement à cette adresse) ne se contente pas de repiquer comme beaucoup d'autres quelques longues phrases du chef d'Oeuvre de Brian Wilson mais en offre une reconstruction qui respire bien l'esprit des disques de Kanye West dont il offre la relecture.

vendredi, août 19, 2005

Laidback Jean -Jacques !

De retour de vacances (excellentes au passage) et pour rester dans un esprit estivale. JJ Cale (Jean-Jacques Cale pour le civil) est souvent réputé pour sa prétendue paresse et faible activité discographique depuis le début de sa carrière au début des années 70. Néanmoins, comme il s’amusait à le rappeler il y a une bonne dizaine d’années, une quinzaine d’albums en plus de 30 ans de carrière représente un score plus qu’honorable et bien au dessus de celui de Michael Jackson pour exemple. Son style, éternellement associé au laidback qui caractérise son songwriting nonchalant, à croire que le terme a été inventé pour le définir, ne doit pourtant pas faire croire à un artiste qui n’aurait jamais su se réinventer. Bien loin de là finalement, chacun de ses disques se caractérise par une sonorité que l’amateur parvient avec le temps à rapidement reconnaître. Des bricolages sur quatre pistes de Naturally (et de l’utilisation pour la moins étonnante des premières boites à rythmes) en passant par le son très New Orleans de Travel Log (mon petit préféré s’il fallait en choisir un), Cale a toujours su incorporer une multitude d’influences plus ou moins visibles car souvent si bien intégrées dans ses propres visions
Pour se faire une petite idée de ce à quoi ressemblaient ses débuts, quand il cachetonnait pour les studios et tentait de placer ses morceaux sur les disques des autres, on ira fureter sur l'excellent site non-officiel JJ Cale Fan Network qui, non content de fournir une base de données plutôt exhaustive sur la carrière du guitariste-chanteur, offre aussi quelques perles introuvables dans sa section Sounds, la plupart de ses premiers 45 tours publiés dans les années 60, on y trouve pour exemple une excellent version d'After Midnight mais aussi d’autres petites merveilles comme les excellentes In Our Time et Outside Lookin' In. Bref, si JJ Cale évoque toujours pour vous Eric Clapton (qui finance aujourd'hui la carrière de Cale au travers des droits d'auteur que rapportent les succès qu'il aura tiré des différentes reprises, Cocaïne en particulier) ou Mark Knopfler (qui lui a du apprendre à chanter et à jouer de la guitare en écoutant Troubadour), je ne saurais que trop vous recommander de vous plonger dans la discographie de l'américain, bien plus profonde et généreuse que pourraient le laisser penser ces héritiers bien trop insipides (on notera parmi les fans plus crédibles, l'affection toute particulière que lui porte Jason Pierce, cerveau de Spiritualized et ex-Spacemen 3, qui a pour deux fois repris des chansons de Cale dans sa carrière).

jeudi, août 04, 2005

What's Going On, Marvin Gaye ?

Les traductions de biographies anglo-saxonnes ne sont hélas pas si courantes pour que l’on passe à coté de celle-ci. En se focalisant sur la genèse du seul album, What’s Going On ?, l’ancien chroniqueur Ben Edmonds ne tient en rien à couvrir la vie entière du génial Marvin Gaye mais seulement pointer les circonstances de la création de l’un des plus beaux disques tout genre confondu. Il y dresse ainsi le portrait du chanteur en proie aux doutes et enfermé dans son carcan de chanteur de charme imposé par la machinerie Motown et son patron fondateur Berry Gordy et qui va, suite à quelques douloureux évènements (mort tragique de sa partenaire Tammy Terrel, retour du Vietnam de son frère Franky, déliquescence de son mariage avec Ana Gordy, …), user de toute sa détermination pour obtenir cette liberté d’action qui fera ensuite les dernières heures de gloire du label dans les années 70 au travers d’artistes comme les Temptations ou Stevie Wonder. Ben Edmonds y décrit ainsi l’usine Motown, paradoxe d’une machinerie aux rouages quasi-industriels qui avant le déménagement pour Los Angeles avait su allier les bonnes volontés d’artistes issus des classes les plus défavorisées, rêve américain d’une réussite entièrement noire et un réalisme calculateur où les coups bas furent aussi quotidiens que mesquins (mais atténués par un invariable désir de prouver au reste du pays la suprématie d’une musique noire et universelle).
Le livre montre ainsi comment Marvin Gaye sut à l’époque tirer parti de cette formidable émulation, mettre en avant le talent jusque là jalousement caché des Funk Brothers (formidable équipe de musiciens dont le talent est à l’origine de la plupart des hits de la maison de Detroit, récemment célébrée dans un documentaire instructif, Standing In The Shadows Of Motown) ou encore employer au mieux son pouvoir acquis lors des années 60 grâce à ses nombreux succès pour parvenir à son but. Au travers d’anecdotes parfois savoureuses recueillies auprès des proches collaborateurs de Marvin Gaye sur ce disque, Ben Edmonds est parvenu à retracer avec brio l’étrange ascension d’un artiste visiblement aussi ambitieux que dévoré par ses démons mais dont le talent éclatant éclaboussa à l’époque la face du monde. Ne reste plus maintenant qu’à attendre la traduction de la biographie du chanteur par David Ritz, biographie mythique dont le livre de Ben Edmonds ne se veut qu’un complément d’enquête supplémentaire.

Ben Edmonds - What's Going On, Marvin Gaye ? (10-18, 2004, 250 pages, USA)

mercredi, août 03, 2005

Sweet soul music ... Syreeta

Décédée l'an passé dans une relative indifférence (je n'ai pas souvenir d'avoir lu beaucoup de choses à son sujet, hélas), Syreeta Wright fait partie de ces chanteuses soul à la discrétion et aux charmes délicats mais dont les disques ne peuvent s'empêcher de revenir hanter le souvenir, une de ses perles soul (presque) cachée d’une décennie qui en vu pourtant beaucoup.
Secrétaire à la Motown, elle fut remarquée par Holland-Holland & Dozier pour sa voix douce mais si expressive. Devenue un peu plus tard madame Stevie Wonder, elle enregistra une paire d'albums produits par un mari qui pendant ce temps était aussi de son coté en train de révolutionner la soul-music. Autant dire que l’intérêt de ses deux disques de Syreeta sortis entre 1972 et 1974 est plus que confondant pour qui ne peut rester insensible aux charmes d’une voix si délicate et enchanteresse et d’une musique parfois aussi inventive qu’elle le fut sur Talking Book ou Innervisions.
Syreeta, son premier essai, même s’il manque encore d’unité et comporte une inutile reprise de She’s Leaving Home des Beatles (et un insupportable vocoder) n’en demeure pas moins d’une grande beauté et d’une grande fraîcheur. Il permet aussi à Stevie Wonder de tester les nouvelles idées de productions qu'il utilisera plus tard sur ses propres chef d'œuvres. Entre pop sublimement arrangée, soul gracieuse et modernité naissante (l’utilisation des premiers synthétiseurs), Stevie Wonder Presents Syreeta, son deuxième essai sous la houlette du génie de Detroit, reprend ces recettes pour encore plus de réussites. Deux disques qui ne pourront que vous faire fondre de bonheur et deux des meilleurs sortis sur la Motown pendant les années 70. Séparée de son mari et mentor, Syreeta Wright ne connaîtra plus de tels sommets mais connaîtra de nouveau le succés pendant la période disco au début des années 80.

Syreeta & Stevie Wonder Presents Syreeta (2 x lp, 1972 & 1974, USA)

mardi, août 02, 2005

Une bonne raison de ne pas écouter The Libertines

S'il me fallait une raison pour ne pas aimer les Libertines, là voilà. Non que j'aie vraiment quelque chose contre ce pauvre Pete Doherty mais le voir massacrer par-dessus la jambe, et à l'occasion d'un concert de charité, ce chef d’œuvre de Marc Bolan en compagnie d'Elton John (qui l'aurait expressément invité, la grande classe Rock’n’Roll) et de son groupe de quinquagénaires fatigués ne plaide pas en sa faveur. (Note : What A Waster n'est pas une si mauvaise chanson et Adam Green l’a récemment reprise en une version acoustique fort sympathique et bien plus intéressante que le cabaret-rock de son dernier album en date).

I'm Against The Eighties...

Enfin pas vraiment et l’époque n’est pas vraiment à ce genre de considérations. Bien au contraire. Les ventes de guitares n’ont paraît-il jamais été aussi florissantes en Angleterre que l’an passé (le constat sera probablement le même cette année) et la cote 80’s n’a jamais été aussi haute. De là à penser que cela se traduit par une incroyable inflation de bons disques, il y a un pas que je ne me risquerais pas à faire. Le retour du rock est ce qu’il est et je me passerais de commentaires du moment que cela me permet d’obtenir mon lot de satisfactions (je ne suis pas si mauvais client que ça). Et puis tout cela me rappelle la Brit Pop, il y a une dizaine d’année, où le moindre groupe à guitares qui alignait trois accords un peu pop sixties se faisait signer. The Departure est par exemple plutôt dans la norme du genre, influences eighties très marquées, basse bien en avant et guitares bravardes. Pas grand chose à priori qui pourrait m’enchanter. Les chansons sont pourtant plutôt pas mal (ce qui est loin d’être le cas chez tous leurs contemporains) et je dois reconnaître que le disque tient bien la route et que je l’écoute volontiers. J’ai toujours (enfin presque toujours) eu un petit faible pour ces chansons épiques et j’écoute U2 à l’occasion. Cela explique peut être cela. Pour le reste, ils ont un look aussi ridicule que les autres et semblent au moins assez prétentieux pour pouvoir espérer faire la couverture du NME.

Dirty Words (lp, UK, 2005)

Nouvelle merveille

Retour en arrière sur l'année précédente. Jay-Z aura réalisé un joli coup avec The Black Album, son prétendu dernier album. Non-content de signer l’un de ses meilleurs disques - dans le style qu’on lui connaît, un peu besogneux mais reconnaissons-le, le bonhomme a su tout au long de sa carrière très bien s’entourer - celui-ci a aussi diffusé gracieusement les parties entièrement acapella des quatorze titres, fournissant ainsi matière à qui voulait en réaliser son propre bootleg. Une excellente idée que plusieurs producteurs se sont aussitôt appropriés pour des résultats plus (Danger Mouse avec les Beatles) ou moins (les piteux mixes de Pavement ou Weezer disponibles sur le net) convaincants mais qui ont enfin fait retransparaître cette petite idée de liberté qui caractérisait les débuts du genre, quand le moindre sample ne risquait pas de coûter à son emprunteur l’ensemble de ses royalties. Parmi les producteurs qui figuraient au générique officiel de l’album, le jeune 9th Wonder représentait à plus d’un titre la figure emblématique de cette nouvelle fantaisie. Ce dernier avait en effet lancé l’idée bien avant tout le monde en remixant dans sa totalité le God’s Son de Nas (rebaptisé pour l’occasion God’s Stepson). Lui y adjoignant la touche soulful qui faisait si cruellement défaut à l’original, il réalisait ainsi, dans un presque total anonymat, la suite la plus digne qui soit à l’inégalable Illmatic. Nas ne s'y trompa pas et l'invita à retravailler certains de ses titres par la suite. Dans un style proche d’un Pete Rock ou de The Ummah, 9th Wonder puise ses samples essentiellement dans la soul luxuriante et engagée des années 70 et les explose par la suite à un cut-up millimétré mais totalement jouissif et habité. Back Is Black est sa propre version du Black Album et avouons-le, il ne sera pas difficile, cette fois-ci encore, de la préférer à l’originale. Bien loin des petits amusements d’un Danger Mouse, 9th Wonder poursuit dans son propre style, complètement hip hop, en digne héritier des grands producteurs du début des 90’s, il entretient une culture du sampling franchement réjouissante et parvient, chose rare, a insufflé à ses productions ce surcroît d’âme qui fait de lui l’un des plus excitants du moment. Fort Heureusement, si les deux disques précités restent encore difficiles à se procurer (et pour cause, la liste des samples rendrait folle de rage la moindre maison de disques), les talents de 9th Wonders peuvent aussi être appréciés sur d’autres projets plus largement diffusés comme le dernier disque du Mc Murs (3:16 : The 9th Edition) ou encore l’album de Little Brother (The Listening), deux disques tout aussi fortement recommandés. 9th Wonder a depuis réalisé d'autres merveilles dont j'aurais l'occasion de vous parler ...

God’s Stepson/Back Is Black (2 x lp, USA, 2003 & 2004)