mardi, février 14, 2006

Harpers Bizarre, Bazar pop

Parmi la flopée de groupes américains qui pratiquaient avec plus ou moins de bonheur la sunshine pop (ou plus clairement cette pop fortement influencée des oeuvres de Brian Wilson et des Beach Boys) à la fin des années 60, les drôles de zozos de Harpers Bizarre sont vraiment à ranger bien à part par leur loufoquerie et la riche culture musicale qui irriguait et ensoleillait leurs disques.
Projet pour le moins excentrique et essentiellement spécialisé dans la reprise parfois saugrenue (ils reprendront même de façon plutôt convaincante, et en français (!), le Milord d’Edith Piaf), le groupe était emmené par le multi-instrumentiste Ted Templeman, que l’on retrouvera par la suite, et pour la gloire, comme producteur à la fin des années 70 sur les disques (parfois remarquables) de Van Halen (principalement) ou d’Aerosmith, étrange parcours donc pour un bonhomme qui aura aussi produit plus tôt des disques pour Captain Beefheart et Van Morrisson.

Les Harpers Bizarre feront preuve tout au long des quatre albums de leur courte carrière (et en particulier sur les deux premiers, les plus réussis) d’une extraordinaire faculté à incorporer des influences issues de la grande musique populaire américaine (à laquelle ils emprunteront nombre de classiques) à des schémas de production plus actuels pour l’époque. On peut d’ailleurs penser que les deux principaux producteurs qui interviendront sur ces disques n’y sont très certainement pas pour rien. En premier lieu, Van Dyke Parks, célèbre parolier et producteur de la période maudite des Beach Boys et du naufrage Smile, dont on retrouve dans les disques des Harpers Bizarre une bonne partie des idées qui jalonneront par la suite ses propres disques, et en deuxième place, l’arrangeur et producteur Lenny Waronker, collaborateur privilégié de Randy Newman sur ses disques les plus orchestrés, qui visiblement avait trouvé dans ce groupe un jouet à sa mesure pour pousser un peu plus loin les projets de pop luxueuse déjà envisagés sur le magnifique premier album de Randy Newman (Create Something New Under The Sun).
Feelin’ Groovy, leur premier album, connut un relatif succès au travers de son single titre (une reprise enchanteresse de Paul Simon) et contient des classiques comme la belle composition de Randy Newman, Simon Smith and the Amazing Dancing Bear, que l’on retrouvera plus tard en version piano-voix sur le classique des son auteur, Sail Away en 1972, ou encore la très pop Come To The Sunshine de Van Dyke Parks. Anything Goes, leur deuxième effort continuera dans une même veine et reste à mon sens l’une des perles cachées de la pop 60’s. Pour vous donner une petite idée, vous expérimenterez le petit lecteur que j’ai installé en fin de texte avec deux des plus belles compositions de cet album, la très belle reprise-titre du classique de Cole Porter et le pour le moins chatoyant Chattanooga Choo Choo, où les soubresauts des rails vont feront visiter en chantant l’Amérique éternelle (ou presque).
Le groupe produira par la suite deux derniers disques certes moins pertinents que les deux premiers chefs d’œuvres, mais néanmoins parfaitement recommandables. Il laissera en tout cas la trace d’une pop arrangée, scintillante et distrayante qui sans se prendre trop au sérieux, est parvenu à développer une production raffinée et foisonnante d’idées, non loin de ce qu’essayait de faire un Brian Wilson à l’époque de Pet Sounds et de Smile, les névroses en moins et l’humour et la joie de vivre en plus.

[Longtemps indisponibles, les disques d'Harpers Bizarre ont enfin été réédités ces dernières années chez Sundazed dans de belles éditions où l'on retrouve sur chaque disque quelques inédits, du beau travail]


Harpers Bizarre - Chattanooga Choo Choo



Harpers Bizarre - Anything Goes