jeudi, juillet 21, 2005

American wilderness

Kenny Dixon Jr est une énigme et risque à ce rythme de bien le rester encore longtemps. Aucune interview, très peu de photos, le producteur préserve le mystère et refuse tout entretien, ce en particulier si la demande provient de journalistes blancs. Heureusement, ces disques parlent très bien pour lui et s'expriment sans ambiguïté. Avait-on en effet jusqu'à ici entendu une house si emprunte de mélancolie, de ferveur et d'engagement ailleurs que chez ce natif de Detroit marqué semble-t-il tout autant par les grands disques soul du début des années 70 que par l'esprit d'indépendance du label local de 'Mad' Mike Banks Underground Resistance. Sans nostalgie, celui-ci a pourtant changé pour beaucoup l'approche d'une musique qui, aussi belle soit-elle, s'attachait essentiellement à faire bouger les dancefloors. Chez Moodymann, cette notion est bien loin d'être négligée, comme sur ses maxis, mais celui-ci prend soin sur ses albums à gérer ce format long dans toute sa nécessité. Le dernier en date, Black Magahoni, prend pour base l'un de ses maxis dont une version frustrante figurait déjà sur Mahagony Brown en 1999. Ici, la version originale est restituée et vaut à elle-seule l'achat de ce disque. Une pièce ahurissante de plus d'un quart d'heure (scindée en plages 9 et 10) où dans une maestria de sons et de rythmes, Moodymann convoque le spectre de Curtis Mayfield, un flot de percussion ou encore une ligne mélodique d'orgue jazz en totale liberté, se jouant à merveille, au cours de breaks en apesanteur, de la frustration de l'auditeur condamné parfois à seulement sentir le souffle de la mélodie lui passer sur le cou. Une merveille. Ailleurs, le disque offre une sélection variée mais habitée de ce même esprit. La chanteuse Roberta Sweed, au timbre proche d'un Horace Andy, illumine les trois premiers titres entre jazz, funk, dub et house, prouvant que Dixon sait tout autant mettre en valeur ses interprètes qu'assurer une production sombre, raffinée et infiniment classieuse. Plus classique, I'm Doing Fine et Shades Of Jae restent deux autres pièces de choix déjà connues des amateurs puisque parues auparavant en maxis. Black Mahagoni, peut être son disque le plus abouti, pose un constat simple, alors que la nu-soul tente avec plus ou moins de bonheur de retrouver l'esprit des grands disques soul, Moodymann se l'est depuis déjà bien longtemps réapproprié en le projetant à lui tout seul dans le futur.

Kenny Dixon a depuis sorti une suite tout aussi recommandable (très justement appelée Black Mahogani II) à son chef d’œuvre. Quatre titres entre rêveries jazz-techno et soul, parfois loin de la house qui l'a fait connaître mais toujours aussi habitées.

Black Mahogani & Black Mahogani II (2 x lp, 2004, USA)